Le géant du e-commerce s’apprête à franchir un nouveau cap dans l’automatisation de ses entrepôts. Selon plusieurs documents internes révélés par le New York Times, le 21 octobre, Amazon prévoit de robotiser jusqu’à 75 % de ses opérations d’ici la prochaine décennie. Cette transformation massive, l’une des plus importantes de l’histoire, lui permettrait d’éviter le recrutement de quelque 600 000 employés d’ici à 2033 ; soit l’équivalent de près de la moitié de ses effectifs actuels aux États-Unis.
Une arrivée massive de robots chez Amazon
D’après les documents internes consultés par le New York Times, Amazon souhaiterait automatiser environ 75 % de ses opérations logistiques dans les dix prochaines années. Ce plan ambitieux s’inscrit dans la continuité d’une décennie d’investissements massifs dans la robotique, amorcés dès 2012 avec le rachat de la start-up Kiva Systems. La société dispose aujourd’hui d’un million de robots déployés dans le monde, déjà impliqués dans trois livraisons sur quatre réalisées depuis ses entrepôts.
Cette montée en puissance vise avant tout une augmentation de la production, avec l’objectif de doubler les ventes d’ici 2033, tout en réduisant les coûts. Les besoins en main-d’oeuvre sur certains postes diminueraient drastiquement : 160 000 emplois évités dans les deux ans à venir, puis jusqu’à 600 000 d’ici à 2033. Amazon estime pouvoir ainsi économiser jusqu’à 30 centimes par article, du stockage à la livraison. Ce qui représenterait 12,6 milliards de dollars d’économies d’ici 2027, soit environ 2 % de son chiffre d’affaires global en 2024.
Par crainte des polémiques, les documents internes suggèrent justement aux cadres d’Amazon d’utiliser, dans leurs communications officielles, des expressions comme « technologie avancée » ou « cobot » (pour robot collaboratif) à la place d’« automatisation » ou « intelligence artificielle ». L’objectif est de véhiculer, publiquement, une image plus positive du changement.
Des robots plus performants et plus polyvalents
Amazon présente ces innovations comme un progrès technologique, au service des employés. Dans un billet de blog publié un jour après l’enquête du New York Times, la firme a dévoilé Blue Jay, un robot décrit comme « une paire de mains supplémentaires aidant les employés dans les tâches qui impliquent d’atteindre et de soulever des objets ».
Capable de manipuler 75 % des articles stockés dans les entrepôts, Blue Jay est amené à devenir, d’après Amazon, une « technologie clé » pour les sites effectuant des livraisons en un jour. Il est actuellement testé sur un site de l’entreprise en Caroline du Sud. Blue Jay a été conçu en à peine plus d’un an, en s’appuyant sur les jumeaux numériques, l’intelligence artificielle et les données de robots déjà en service. La machine permet de centraliser en un seul espace de travail ce qui était autrefois assuré par « trois stations robotiques », en saisissant, en rangeant et en regroupant les produits.

À ses côtés, Project Eluna, un système d’IA agentique, c’est-à-dire qui agit « de manière indépendante pour atteindre des objectifs prédéterminés », joue un rôle de soutien. Selon Amazon, il ferait office de « coéquipier supplémentaire », optimisant le tri des colis et réduisant la charge cognitive des opérateurs humains.
Ces innovations s’ajoutent à une flotte déjà bien étoffée. Le robot Hercules transporte des étagères mobiles pesant jusqu’à environ 565 kg d’un poste de travail à un autre. Proteus, le premier robot autonome d’Amazon, se charge de déplacer les chariots entre les allées. Plus récemment, Vulcan, doté d’un « sens du toucher » grâce à ses capteurs de retour de force, a commencé à être déployé dans deux centres américains et allemands. Amazon expérimente également des robots humanoïdes : le Digit d’Agility Robotics pour le tri de conteneurs et des modèles de Unitree, sur le dernier kilomètre de livraison.
Automatisation : les réponses d’Amazon face aux inquiétudes
Face aux inquiétudes liées au remplacement de centaines de milliers d’emplois potentiels, Amazon s’efforce de contrôler le récit autour de cette transformation. L’entreprise insiste sur le fait que la robotisation n’élimine pas les emplois, mais en crée de nouveaux, mieux qualifiés, dans la maintenance ou la supervision des machines.
« Le véritable sujet ne concerne par les robots… mais les gens, et du futur du travail que nous construisons ensemble », a déclaré Tye Brady, directeur technologique d’Amazon Robotics.
Un porte-parole a par ailleurs rappelé « qu’aucune entreprise n’a créé plus d’emplois aux États-Unis au cours de la dernière décennie qu’Amazon », évoquant les 250 000 postes saisonniers prévus pour la période des fêtes.
Dans une lettre adressée à ses employés en juin, Andy Jassy, le PDG d’Amazon, s’est montré plus explicite sur la future place des robots et de l’intelligence artificielle au sein de la multinationale, rapporte The Verge :
« Nous aurons besoin de moins de personnes pour certains emplois qui existent aujourd’hui, et davantage pour d’autres types de postes. Dans les prochaines années, nous nous attendons à ce que cela réduise notre main-d’œuvre totale à mesure que nous gagnerons en efficacité grâce à l’IA. »
Une robotisation déjà bien entamée, jusqu’en France
Le mouvement n’est pas limité aux États-Unis. Comme le rappelle L’Usine Digitale, Amazon dispose déjà de trois sites robotisés en France : à Brétigny-sur-Orge dans l’Essonne, Augny en Moselle et Boves dans la Somme. Ce dernier, récemment inaugurée sous sa nouvelle forme, détient désormais le record mondial de la plus grande surface robotisée d’Amazon sur un seul niveau. L’objectif est d’y atteindre 2 millions de colis traités par semaine, soit le double du nombre actuel.
Patrick Labarre, président d’Amazon France Logistique, a voulu se montrer rassurant : « À travers la robotisation, nous allons pouvoir densifier notre zone de stockage, gagner 40 % d’espace sur le site et ainsi augmenter l’emploi. » Répétant le discours américain, il ajoute que la stratégie de l’entreprise est de « mieux servir les clients » tout en supprimant « les tâches pénibles ou répétitives » pour les travailleurs. Une manière de présenter l’automatisation comme un levier d’efficacité plutôt qu’une menace pour les salariés.
Au-delà de ses entrepôts, Amazon expérimente aussi DeepFleet, un modèle d’IA chargé de coordonner les déplacements de ses robots sur l’ensemble du réseau logistique. Le but est de réduire de 10 % le temps de trajet moyen de ses machines. L’entreprise s’inscrit ainsi dans une logique de rationalisation totale, du traitement des commandes jusqu’à la livraison finale.
Amazon s’avance vers une automatisation sans précédent, combinant robotique et intelligence artificielle pour transformer en profondeur sa chaîne logistique. Si la firme met en avant la productivité et la sécurité, ses propres prévisions laissent entrevoir une réduction massive du besoin en main-d’œuvre humaine. Mais en promettant d’« améliorer le futur du travail », Amazon tente de présenter cette mutation comme un progrès collectif. Reste à savoir si les employés bénéficieront réellement de ces avancées.
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