Pékin multiplie les signaux d’alerte face à l’afflux d’investissements et de projets dans la robotique humanoïde, un secteur devenu stratégique mais où la demande réelle reste encore très limitée.
La mise en garde de la Chine face à une possible « bulle » des humanoïdes
La Chine a émis un avertissement concernant l’état du marché des robots humanoïdes. Selon les autorités, plus de 150 entreprises nationales développent aujourd’hui des modèles souvent très similaires, un phénomène qui menace de saturer le marché et de freiner les véritables avancées technologiques. La porte-parole de la Commission nationale du développement et de la réforme (NDRC), Li Chao, a rappelé que « les industries de pointe sont depuis longtemps confrontées au défi de concilier la vitesse de croissance et le risque de bulles », une réalité qui « touche désormais le secteur des robots humanoïdes ».
L’inquiétude porte autant sur l’emballement industriel que sur un décalage persistant entre ambitions et usages concrets. Cette année, selon un rapport de Leaderobot en avril, le marché chinois des humanoïdes devrait atteindre 82 milliards de yuans (près de 10 milliards d’euros), soit la moitié des ventes mondiales, avec plus de 10 000 robots humanoïdes. Pourtant, la demande réelle reste quasi inexistante. Le risque, selon les autorités, serait de répéter les excès observés dans d’autres secteurs, comme celui des vélos en libre-service à la fin des années 2010, où la surproduction avait abouti à d’immenses décharges à ciel ouvert.
Un marché de la robotique alimenté par la spéculation et les démonstrations spectaculaires
L’engouement actuel ne relève pas seulement de l’innovation technologique : il est en grande partie nourri par la spéculation financière et la multiplication de vidéos virales. Depuis la prestation remarquée des robots dansants de Unitree lors du Gala de la Fête du Printemps, en début d’année, les machines humanoïdes se sont imposées dans l’imaginaire collectif chinois. Les prototypes d’entreprises comme AgiBot, XPENG ou Unitree ont envahi les réseaux sociaux : record mondial de la plus longue marche pour AgiBot A2, course de marathon, kickboxing… Ils ont ainsi renforcé l’idée d’un marché en pleine effervescence.
Cet enthousiasme se reflète dans les valorisations. En Chine, l’indice Solactive China Humanoid Robotics a progressé d’environ 30 % depuis le début de l’année. À l’international, le risque de bulle s’étend également. La start-up américaine Figure AI est valorisée à 39 milliards de dollars, alors qu’un seul de ses robots fonctionne pour le moment en usine BMW, sur des activités restreintes. Tandis qu’Elon Musk évoque pour Optimus la construction d’une usine capable de produire jusqu’à 10 millions de robots par an, alors que son modèle ne fonctionne toujours pas en autonomie.
En Chine, certains constructeurs multiplient déjà les promesses et mises en scène industrielles. Ubtech a célébré sa première livraison de masse avec son modèle Walker S2, tandis que Xiaomi prédit un déploiement à grande échelle du CyberOne dans ses usines dans 5 ans.

Robotique humanoïde : Pékin veut encadrer et rationnaliser l’industrie
Pour prévenir une surchauffe, les autorités veulent accélérer la mise en place de mécanismes d’entrée et de sortie du marché afin de garantir une concurrence équitable. Pékin a également annoncé le renforcement de la recherche sur les technologies fondamentales et le soutien à des infrastructures de test, afin d’éviter la dispersion des efforts. L’objectif est de favoriser la consolidation des acteurs et de mieux coordonner les ressources industrielles à l’échelle du pays.
La NDRC insiste sur la nécessité de réorienter le secteur vers des applications réelles, alors que l’immense majorité des robots humanoïdes ne sont ni commercialisés à grande échelle ni capables de fonctionner de façon autonome. Ce qui illustre l’écart entre les annonces et le niveau de maturité technologique.
Des inquiétudes qui rappellent celles autour d’une possible bulle de l’IA, alimentée par les investissements colossaux en circuit fermé entre les géants de la tech tels qu’OpenAI et Nvidia.
La Chine se trouve face à un paradoxe : elle veut faire des robots humanoïdes l’un des moteurs industriels de la décennie, mais redoute qu’un excès d’optimisme financier ne déstabilise la filière avant même son décollage réel. Pour Pékin, la priorité consiste désormais à encadrer la croissance, rationaliser la production et recentrer l’innovation vers des usages concrets, afin d’éviter que cette « croissance explosive » ne se transforme en bulle prête à éclater.
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